3-6 juil. 2017 Université de Picardie Jules Verne - Pôle Arts - La Teinturerie - 30, rue des Teinturiers - AMIENS - Salle 304 (France)
Analyse de récits filmiques réalisés par un enquêté en situation sur son activité professionnelle
Edwige Rémy  1@  
1 : Institut de Recherche Interdisciplinaire en Sciences Sociales  (IRISSO)  -  Site web
Université Paris IX - Paris Dauphine
Place du Maréchal de Lattre de Tassigny 75775 PARIS Cedex 16 -  France

Cette communication vise à proposer une analyse de récits filmiques réalisés par un enquêté en situation sur son activité professionnelle. La démarche se veut similaire aux analyses sociologiques plus traditionnelles d'observations ou d'entretiens qualitatifs, tout en portant sur un matériau moins familier aux sociologues que sont les vidéos. L'intérêt est de s'interroger sur les apports de l'analyse d'un matériau vidéographique pour l'enquête sociologique.

Le cœur de la démarche consistera à décrire l'enchaînement des séquences capturées dans trois vidéos durant chacune de trente secondes à deux minutes[1]. Il s'agira d'observer comment le champ de la caméra se concentre parfois sur certains détails de la situation plutôt que d'autres. En tenant compte de ce qui a été inclus dans le cadre des images et de ce qui en a été exclu, il pourra être possible de prendre ces matériaux comme de courts récits personnels d'une situation. Chaque séquence vidéographique renvoie à un récit du fait qu'elle est composée à son début d'une image fixe, suivie d'une succession de plans mobiles, et s'achève sur un élément fixe.

Le cadre des prises de vue est une usine[2] du secteur de l'industrie chimique située dans la moitié nord de la France. Des opérateurs de l'entreprise suivent une formation sur les métiers d'ouvriers sous-traitants du nettoyage industriel. Ces derniers ont pour tâche de nettoyer les installations de l'entreprise A où sont utilisés pour les besoins de la production courante des produits dangereux[3]. La formation doit permettre aux opérateurs de l'entreprise A de davantage connaître l'activité des sous-traitants, pour pouvoir mieux encadrer ces derniers en rendant leurs conditions de travail plus sûres. Les trois vidéos qu'il s'agit d'analyser montrent, dans ce cadre, une situation où des opérateurs sous-traitants font des démonstrations de leurs techniques de travail à des ouvriers de l'entreprise A.

Les situations filmées sont des moments où la chercheuse est présente sur le terrain et prend elle-même des notes d'observation sur un petit carnet. Les vidéos qui font l'objet de cette communication ont été réalisées sur proposition de la chercheuse à l'un des personnels de l'entreprise qui devait encadrer la formation. Les courts récits récoltés qui résultent de ce dispositif offrent donc une possibilité de décentrer le regard porté par la chercheuse sur la situation au même moment, et de proposer un point de vue nouveau sur le « travail ». En effet, au moment où le dispositif est mis en place, plusieurs acteurs en présence discutent de celui-ci et concluent que ce qui intéresse la chercheuse est de « voir le travail ». De fait, les vidéos le donnent aussi à entendre : à côté du traitement des séquences imagées, la bande sonore capturée présente un support supplémentaire à l'analyse. Ce qu'apportent les récits vidéographiques, à côté des observations personnelles de la chercheuse, est un enchaînement par un enquêté de séquences mettant en scène la situation.

La caméra du petit appareil compact utilisé se centre parfois sur les dispositifs de sécurité qui entourent l'activité, sur l'équipement que porte sur lui l'opérateur au cœur de la démonstration, sur l'outil qu'il manie, ou l'objet qu'il nettoie. Puis le cadre de l'image peut se déplacer vers le chef opérateur resté près des doubles commandes des dispositifs techniques utilisés, situées sur un camion, avant que l'angle de vue ne soit orienté vers le « public » de la situation, qui sont six opérateurs de l'entreprise A, 4 animateurs-encadrants de la formation, et la chercheuse. Certaines séquences mettent ainsi un opérateur au centre du champ de la caméra, d'autres placent les ouvriers de l'usine A en périphérie de l'angle de vue. Le résultat obtenu donne à voir autre chose que l'activité seule de l'ouvrier sous-traitant qui manie ses outils de nettoyage. Les vidéos montrent une situation où la hiérarchie entre les personnels internes à l'entreprise A et les sous-traitants se trouve inversée.

Comment l'analyse vidéographique du point de vue d'un enquêté sur la situation permet de questionner à nouveaux frais les rapports de pouvoirs entre les différents acteurs en présence ? La communication proposera, à partir d'un matériau vidéographique, une analyse renouvelée des rapports de pouvoirs de la situation.


[1]La diffusion de ces vidéos est interdite par l'entreprise. La communication proposera donc une interprétation de ces séquences.

[2]Nous l'appellerons l'usine/l'entreprise A.

[3]Les sites sont classés Seveso II seuil haut.


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