3-6 juil. 2017 Université de Picardie Jules Verne - Pôle Arts - La Teinturerie - 30, rue des Teinturiers - AMIENS - Salle 304 (France)

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Rapports de genre et pouvoir « L'homme, la femme et le troupeau » film (2002) 26 mm
Anne-Marie Granié  1@  , Jean-Pascal Fontorbes  1, *@  
1 : Dynamiques Rurales
ENFA. Ecole Nationale de Formation Agronomique, École nationale supérieure agronomique de Toulouse [ENSAT], Institut National Polytechnique de Toulouse - INPT, Université Toulouse le Mirail - Toulouse II, Université Toulouse le Mirail - Toulouse II : MA104
Université de Toulouse - Le Mirail / Pavillon de la Recherche / 5, allées Antonio-Machado 31058 TOULOUSE Cedex 9 ENFA (BP 22687 , 2 route de Narbonne 31326 Castanet Tolosan cedex) INP-ENSAT (Avenue de l'agrobiopole 31326 Castanet tolosan) -  France
* : Auteur correspondant

Ce film rend compte d'une étude qui vise à comprendre comment les hommes et les femmes vivent les limites matérielles et immatérielles de leurs rapports sociaux et spatiaux dans le cadre de leur activité professionnelle de couple. La question du pouvoir est au centre de notre réflexion. Il s'agit de faire une lecture des représentations sociales par l'observation, le recueil et l'analyse de comportements discursifs.

On s'intéresse aux rapports de genre et aux dynamiques de construction socioprofessionnelle chez les couples d'éleveurs du Moyen Atlas au Maroc (région d'Azrou). « On sait bien que l'on n'est pas femme ou homme de la même manière selon les époques, les aires culturelles, les groupes sociaux, les niveaux d'étude... » (Lahire 2001)

Les changements dans l'organisation des rapports sociaux de sexes sont pour nous l'objet d'une attention particulière dans les constructions identitaires d'aujourd'hui. Nous considérons que le genre est un « outil nécessaire » (Bisiliat, Verschur 2000) pour repérer, comprendre et analyser les constructions socioprofessionnelles et les façons dont se jouent les rapports de pouvoir. Les interactions sociales nous permettent de déceler les pouvoirs détenus par l'homme ou la femme dans les couples. Les relations hommes-femmes ne sont pas statiques même si les postures peuvent être souvent considérées comme stables. Il s'agit de montrer comment les hommes et les femmes modifient au travers de leurs représentations, pratiques et discours (dans un jeu d'influences réciproques), les limites de leurs espaces de pouvoir.

Au plan méthodologique, les entretiens rendent compte des récits des pratiques socioprofessionnelles de l'éleveur et de son épouse. L'unité familiale est la base de notre analyse Les discours croisés de l'homme et de la femme montrent que dans ce métier défini au masculin, les femmes occupent une place importante, loin d'être reconnue mais différente toutefois selon notamment le statut économique du couple, le statut matrimonial et les trajectoires de l'homme et de la femme.

Le choix a été de prélever les images à partir des représentations sociales exprimées par les éleveurs et leurs épouses. Le parti pris est de traiter l'image comme un produit de sens. Les hommes ne sont pas prêts à laisser leur pouvoir réel et/ou symbolique même si parfois certains pouvoirs sont contraignants ; les femmes parce qu'elles ont intériorisé leurs positions ne sont pas facilement prêtes à les abandonner même si elles sont difficiles, (cf. Bourdieu, 1998et Héritier, 2001).

Nous nous sommes centrés sur « le montré », le « vu » puisque ce qui est dit est incompréhensible pour nous (nous ne parlons ni l'arabe ni le berbère). Cette situation nous a obligé à nous focaliser sur le lieu, l'endroit, le corps, la voix, les mimiques, les interactions physiques entre l'enquêteur (trice) (nous avons travaillé avec une étudiante et un collègue marocain et l'enquêté (e). Nous avons laissé les situations de communication se dérouler. Notre présence a-t-elle généré un discours particulier ? En regard de notre statut (étrangers, universitaires) nous avons sans aucun doute recueilli une parole réservée surtout chez les femmes et une parole bienveillante des hommes à l'égard des femmes et de la place qu'elles occupent dans ce métier. Mais en croisant les entretiens filmés avec ceux de l'enquête plus large on se rend compte que les marqueurs identitaires évoqués, convoqués, sont les mêmes ; que l'état des rapports de genre est le même. « Je suis femme d'éleveur et éleveur quand il est absent » (femme d'un grand agro pasteur). La domination masculine transparaît tout au long du film de manière très forte dans la situation de représentation même si des éleveurs nous ont dit : « les prises de décisions passent toujours une nuit à la maison »

Le film a pu se faire parce qu'il y a eu collaboration de la part des filmés. Un couple de berger « relativement coupé du monde » manifestait sa joie, à nous voir, nous recevoir, nous raconter un morceau de leur vie. Un cri, un témoignage, des regards qui cherchent de la compréhension. L'enquêté, lorsqu'il parle, s'adresse à l'enquêteur, mais aussi aux personnes qui sont dans le dispositif filmique. De fait nous étions installés dans une sorte de communication non violente : « Essayer de savoir ce que l'on fait, lorsqu'on instaure une relation d'entretien, c'est d'abord connaître les effets que l'on peut produire sans le savoir par cette sorte d'intrusion toujours un peu arbitraire qui est au principe de l'échange... » (Bourdieu, 1993).

Le choix de filmer l'homme au-dehors, parmi ses bêtes, renvoie à l'espace masculin, la femme filmée devant sa maison, ou à l'intérieur renvoie à l'espace féminin.

Les relations hommes-femmes ne sont pas statiques même si les apparences montrent le contraire. De l'état de paysan au métier d'agriculteur, le panorama marocain présente une diversité de cas. Du vivrier à l'échange marchand on observe des pratiques diverses qui exigent des compétences nouvelles et qui entraînent de nouvelles contraintes. Ce contexte fait émerger des situations nouvelles dans les métiers en agriculture élevage. Ces changements plus ou moins grands, plus ou moins visibles se font dans un univers culturel et social très prégnant. Les récits de pratiques et les pratiques observées chez l'éleveur et son épouse rendent compte des recommandations explicites et implicites qui renvoient à « ce que l'on a appris par corps » (Bourdieu, 1980).

Le travail avec le réalisateur (Jean-Pascal Fontorbes) a abouti à installer le spectateur immédiatement dans le métier. Dans le prologue, un berger appelle son troupeau. Le code de communication indique la proxémie entre l'homme et l'animal et convoque le temps comme élément de cette construction de rapports (les bergers passent des heures et des heures près du troupeau).

L'espace est traité sur trois échelles : l'espace élargi : la montagne, les vallées, les parcours (déplacement des hommes et des animaux) ; l'espace de l'économie, des réseaux et des échanges : le souk ; le territoire du couple : la maison et ses alentours.

Le montage est structuré selon deux axes. Un axe renvoie au temps arrêté suggéré par les photos des couples en noir et blanc. Ces photos symbolisent la tradition en grande partie figée dans le contexte étudié. L'autre axe suggère la dynamique des sociétés, le temps qui « bouge » par le montage des entretiens séparés avec l'homme et la femme, reconstruits par le croisement des discours en forme de conversation. « Un versant déterministe, au sens bourdieusien m'incite à penser que l'individu dispose de ressources incorporées (dans le corps) et d'un langage pour penser, dire ce qu'il est, montrer ce qu'il est, dire ce qu'est l'autre, ce que sont les autres. » (Granié, 2005)

Le montage révèle notre problématique. Nous avons tenté de construire une image qui soit « un rapport entre signifiant et signifié » que Monique Haicault appelle une « image-signe » (Haicault 1987). Un des codes sociologiques de la femme berbère passe par les attributs (les tapis, les tasses pour le thé). Le film témoigne d'un formidable outil de relevé de données et de production de construction de sens pour traiter du pouvoir dans le couple.

« Lors du tournage au souk, juste avant de partir, j'ai remarqué une femme assise près d'un camion. Au-dessus d'elle un agneau passait la tête à travers les barreaux de la lucarne du camion. Pour moi cela symbolisait l'enfermement. Dans le regard de cette femme assise, j'ai vu l'attente d'un demain espéré différent, mêlé d'un présent pesant. J'ai su tout de suite que je terminerai le film avec cette image ». (Fontorbes, 2003)

 

La communication comportera quelques extraits du film

 

 

Bibliographie

 

Bisiliat J., Verschur C ;(direction), ( 2000) Le Genre : un outil nécessaire, cahiers genre et développement n° 1, Afed-Efi, Paris, L'Hamattan.

 

Bourdieu P. (1998) la domination masculine. Paris, Seuil.

 

Bourdieu. P. (direction) (1993) La misère du monde, Paris, Seuil.

 

Bourdieu P. (1980) Le sens pratique, Paris, Minuit.

 

Fontorbes J.P. (2003), Le corps du regard, Thèse de doctorat, communication et audiovisuel, UTM, tome1 238 p., 7 films recherche

 

Granié A.M. (2005) Figures de constructions identitaires. Regards croisés. « Le film, le réalisateur et la sociologue ». Habilitation à Diriger des Recherches (HDR), ESAV- Université de Toulouse le Mirail.

 

Haicault M. (1987) « Identifier et montrer des contenus de sens sociologique ; la double exigence d'une approche audiovisuelle et ses implications (à partir d'une expérience sur le travail à domicile) », (Communication) Pratiques audiovisuelles en sociologie. Constitution d'un atelier réseau LERSCO-LEST-CNRS, Nantes, 9-10 avril, 13 p.

 

Héritier F. (2001) « Privilège de la féminité et domination masculine (entretien) » Esprit l'un et l'autre sexe, mars avril, p. 77-95.

 

Lahire B. (2001° « Héritages sexués : incorporation des habitudes et des croyances », La dialectique des rapports hommes-femmes, sous la direction de Thierry Blöss, Sociologie d'aujourd'hui, Paris, PUF

 

 

Filmographie

 

Fontorbes J.P., Granié A.M. (2002), L'homme, la femme et le troupeau, (Maroc), ENFA DR, vidéo 26mn.

Présentation colloque Place des femmes dans l'agriculture ENA Meknès Maroc (2003).

Diffusion France 5 (2005).


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